Les lutteurs immobiles
Halte au scandale du gaspillage !
Désormais la Société Protectrice des Objets veille... Que diriez-vous d'être
couplé à une tasse de façon que la moindre fêlure de la porcelaine se répercute
sur votre propre squelette en une superbe fracture ouverte ? Imaginez le
cauchemar, imaginez d'autres associations/répercussions, avec des vêtements,
des disques, une maison...
Imaginez que vous soyez tellement relié à vos objets du
quotidien que le moindre choc, la moindre éraflure, trace, ou quel que soit
l'aléa, commis sur ces derniers aient des répercutions directes sur votre
intégrité. Les objets, simples choses inanimées, deviendraient vos alter-ego.
On peut comprendre aisément que, dans le but de se préserver, on ait une
attitude protectrice envers ceux-ci. Nos rapports avec le monde qui nous
entoure serait directement conditionné par la surveillance de chacun sur
chacun, et imaginons par un contrat tacite qui inciterait les membres de la
société à tout simplement prendre garde à ce qui semble futile. On peut ainsi
se dire que le gaspillage, la profanation de la nature, seraient des souvenirs
anciens. Si chacun est attentif à autrui, et mathématiquement si chacun est
attentif au contexte de vie de l'autre, la condition humaine y gagnerait. Voilà
la réflexion que les officiels de la société décrite par Serge Brussolo se sont
faits.
David, peintre, vit dans une société pas si lointaine où les
objets sont jetables. Aussi s'amoncèlent les détritus dans des décharges qui
s'agrandissent. Or, la plupart de ces détritus n'ont rien d'usés. Au contraire,
la grande majorité pourrait être réutilisée et remplir pleinement les fonctions
qui lui sont attribuées. Aussi les dirigeants se sont dit qu'il fallait inciter
les membres de la société à prendre soin de ce qui les entoure. Alors, ils
décident de traquer le gaspillage. Chaque objet, même le plus trivial, est
ainsi soumis à une période d'utilisation limite qui correspond au laps de temps
pendant lequel il peut remplir intégralement ses fonctions. Et attention à ceux
qui, d'une manière ou d'une autre, ne remplissent pas la condition ! Cette
surveillance permanente ne manque pas de susciter des ras-le-bol et autres
craintes. Comme tout bon roman contre-utopique, un personnage franchit le point
de non retour. Après avoir commis l'irréparable, l’artiste est capturé et
soumis à une nouvelle manière de contrôler le gaspillage. Dorénavant, dès qu'il
commettra une atteinte envers un objet, il subira l'équivalent dans sa chaire.
Il est ainsi envoyé dans une
cité pavillonnaire où chaque résident est relié à un objet totem. Le protéger,
c'est se protéger soi même. Aussi, dès lors que l'objet subit une agression,
c'est la personne qui en souffre autant. Il s'agit presque d'une démarche
écologique, voire humaniste. Elle est en tout cas très efficace pour que les
individus soient plus attentifs aux autres. Plus attentifs, ou plus
paranoïaques. Quoi qu'il en soit David doit faire avec. Sous les conseils d'une
jeune femme reliée aux vêtements, il part à la recherche de ce qui sera son
totem. Et autant dire que la nature de celui ci est assez étrange. En effet,
contrairement aux autres membres du quartier, il est pour ainsi dire à l'abri
d'une quelconque agression. Pour autant, est-il à l'abri, lui même ? Bien
sûr, Serge Brussolo a une idée derrière la tête...
Les lutteurs immobiles, sobriquet qualifiant ces
objets que les membres de cette communauté ont littéralement dans la peau, est
un roman court et dense. Au rythme élevé, on suit le périple du personnage
principal mais aussi, voire surtout, de la guerre qu'il mène contre cette
organisation dont on situe pas toujours très bien le poids, contre les autres
membres de la communauté mais aussi contre lui même. Le style littéraire se
rapproche par bien des côté d'un Ray Bradbury à mes yeux. Faussement simple, il
fourmille de détails. Comme si tout était normal, Serge Brussolo nous expose
des situations périlleuses et complexes, des événements sombres décrits de
manière lumineuse. Les lutteurs immobiles est peut être justement trop
bref et ne vas pas assez en profondeur de certains thèmes. Même si la fin
surprend, et cela est bien, elle est aussi quelque part artificielle. On a
l'impression que, une fois la messe dite, l'auteur ne savait pas trop comment
clore son roman. Heureusement, il donne envie d'en écrire une soi même. Bref,
comme d'habitude avec les Présence du futur (ou en tout cas, les romans
que je choisi dans cette collection), la lecture est agréable, récréative et
nourrissante.
Note : III
Les Murmures.
Excellente chronique ! Encore une sacrée pépite que tu nous as trouvée là !
RépondreSupprimerA.C.
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