Morwenna (Among Others), par Jo Walton

Un an auparavant, Morwenna a vécu un drame dont elle se remet difficilement : une voiture les a fauchées, sa jumelle et elle. Alors que sa sœur n'a pas survécu, l'adolescente a été profondément traumatisée, dans son âme et dans sa chair. Depuis, elle traîne difficilement une jambe blessée dans l'accident. Comble du malheur, elle se voit obligée de quitter la famille de sa mère, une tante et un grand-père qu'elle adore, pour aller vivre en Angleterre, avec un père qu'elle connaît à peine, et les trois sœurs de celui-ci. Mais rapidement elle est envoyée dans une école privée pour jeunes filles fortunées, Arlinghurst. Heureusement qu'elle peut se réfugier dans les livres, de science-fiction et de fantasy...

illustration : Helen Rushbrook
Attention ! Si vous cherchez de la fantasy épique avec une quête d'intrépides Hobbit, des combats et tout plein de créatures bizarres, ce livre n'est pas pour vous. Certes la couverture ne laisse pas trop présager de ce genre-là, avec cette petite fille qui court dans un champ en semant des "étoiles", mais je préfère vous savoir prévenus avant de me lancer.

En réalité, de quêtes il est bien question dans ce roman écrit sous la forme d'un journal intime. Tout d'abord, Morwenna cherche à comprendre qui est ce père qu'elle connaît si peu et qui a abandonné sa mère, ainsi que sa sœur et elle alors qu'elles n'étaient que des bébés. D'abord réticente à l'idée de retrouver ce père absent, elle se rend vite compte qu'elle n'a pas trop le choix. En effet, elle s'est enfuie de chez sa mère, qu'elle considère comme folle et même, bien pis, comme une terrible sorcière. Lors de cette première quête, celle des origines, Morwenna découvrira deux choses. Que son grand-père paternel est un Juif qui a réchappé de peu aux camps nazis et que son père a la même passion qu'elle : les romans de SF. Quant à la deuxième quête, je ne peux trop rien en dire, juste qu'elle concerne sa mère, la sorcière presque toujours en arrière-plan. Jusqu'à l'affrontement final.

Mais Morwenna est aussi un roman sur le déracinement. L'adolescente est une Galloise profondément marquée par la culture de son pays. A tel point qu'elle voit des fées, qui ne savent parler que le Gallois. Elle vit son voyage vers l'Angleterre comme un déchirement. Même si sa mère, folle et sorcière, n'est plus là pour lui donner de l'amour, ce rôle de parent aimant est quand même tenu par sa tante et son grand-père, qui l'ont élevé. Ce n'est que contrainte et forcée qu'elle les quitte. Et qu'elle va trouver l'autre parent, qui n'est rien pour elle.

Ce roman, empreint de nostalgie (la majeure partie de l'"intrigue" se déroule entre 1979 et 1980, et l'âge de l'héroïne correspond parfaitement à l'âge de l'auteure, Jo Walton, à cette époque), pourrait se voir plomber par un pathos, rédhibitoire à mes yeux. Pourtant, il n'en est rien. Malgré tous les malheurs qui touchent Morwenna (la mort de sa sœur, son handicap, sa mère folle, etc.), jamais la jeune fille ne s’apitoie sur son sort. Bien au contraire, elle trouve toujours la force d'aller de l'avant. Et cette force, cette joie de vivre, elle les puise dans la lecture. Et pas n'importe laquelle. Celle qui me ravit le plus et que, à n'en pas douter, je partage avec vous. Oui, Morwenna se plonge dans les romans de science-fiction et de fantasy qu'elle avale avec une frénésie incroyable. Comme en plus, à cause de sa jambe, elle ne peut participer aux activités sportives (qui sont très nombreuses dans cette école privée), elle a beaucoup de temps à y consacrer. Elle se lie d'amitié avec la bibliothécaire, s'inscrit à la bibliothèque de la ville, écume les librairies et elle emprunte même des livres à son père. Comble du bonheur, elle trouve un club de lecture spécialisé dans la littérature des genres qu'elle adore. Bref, la lecture est pour elle, et pour le lecteur par la même occasion, une bouffée d'oxygène. Et peut-être aussi la plus grande force de ce bouquin.

Au final, nous avons là un livre bien singulier qui, je pense, peut parler à chacun d'entre nous. Pas besoin d'être un érudit en science-fiction pour l'apprécier. Nous avons tous été des adolescents un peu perdus, à qui la lecture donnait une sorte d'horizon. Une lueur d'espoir dans un morne quotidien. Et si ce Morwenna est si réussi, c'est qu'il nous parle à tous. A tel point qu'en le fermant, je me suis précipité vers ma bibliothèque pour y prendre l'un des romans de Samuel Delany, afin de m'y plonger moi aussi. En tout cas, un grand bravo à la collection Lunes d'encre de nous proposer ce genre de romans différents, encore une fois dans une traduction impeccable.

Morwenna (Among Others - 2010) - Denoël - collection Lunes d'encre - 352 pages - 21,50€ - D.L. : avril 2014 - trad. : Luc Carissimo.

note : IV

A.C. de Haenne

A signaler que Jo Walton sera aux prochaines Utopiales, à Nantes. Je me réjouis à l'avance de pouvoir, je l'espère, discuter avec elle.

A signaler aussi que Lorkhan s'est fendu un article génial, dans lequel il a recensé toutes les oeuvres de science-fiction, de fantasy et mainstream que Jo Walton cite dans son roman. C'est par ici que ça se passe et c'est un sacré boulot.




Commentaires

  1. J'ai lu toutes les chroniques sur ce livre depuis sa sortie et j'y retrouve à chaque fois cette émotion de rencontrer un personnage différent, lecteur, qui nous ressemble. En fait, plus que le côté SF, c'est ça la force de "Morwenna", non? Sortir des sentiers battus pour montrer l'adolescence autrement...

    Détail amusant: je viens de réaliser grâce à toi que j'ai ce Delany que tu es en train de lire et que les autres livres de cette collection sont également dans le style de lectures de Morwenna ^_^.

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    1. Oui, c'est tout à fait ça ! J'avoue m'être demandé plusieurs fois au cours de ma lecture où l'auteure voulait bien me mener. Je l'ai compris vers la fin. Un peu. Et surtout après avoir refermé le livre. Que les livres sauvent, permettent ce qu'on appelle la résilience...

      Tu parles de la collection des éditions Opta, c'est ça ? Tu en as beaucoup ?

      A.C.

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    2. Je les collectionne, il m'en manque quelques-uns, j'en ai plus ou moins 25 (à vue de nez d'ici)(suis trop paresseuse pour me lever pour aller les compter ^_^).

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    3. Ah oui, pas mal. Personnellement, je n'en ai que huit (en comptant bien sûr celui que je suis en train de lire). D'ailleurs, à part celui-là justement, je trouve les couvertures magnifiques, le format sympa.

      A.C.

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    4. Un jour, j'en ai embarqué tout plein dans plusieurs bouquineries bruxelloises où ils étaient vendus pour presque rien - de l'avantage de connaître des collections SFFF que les vendeurs ne connaissent pas ^_^.
      Pour les couverture, ça dépend desquelles, je pense notamment à celle-là ;-p: http://www.noosfere.org/images/couv/o/opta-am14.jpg

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    5. Oh, ben elle est... rouge ?

      Disons que, même si elle est très explicite (trop), elle est le reflet d'une époque, mais sans avoir ce côté daté que peut avoir celle de "L'intersection Einstein"...

      A.C.

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  2. Et il s'agit de la collection "anti-monde", of course !

    A.C.

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  3. Encore une critique enthousiaste, une !
    Et c'est tant mieux, ce roman le mérite vraiment. Il a de quoi toucher vraiment un vaste public (tout le monde peut y trouver quelque chose qui fasse écho à sa propre adolescence), j'espère que le succès sera au rendez-vous.

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    1. Tout le monde parmi les gens que l'on côtoie sur nos blogs respectifs. Dans la vraie vie, je ne sais pas. Mais je suis tout à fait d'accord avec toi : j'espère aussi que le succès sera au rendez-vous. Il y a plein d'autres bouquins de Jo Walton à traduire, puis à lire !

      A.C.

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  4. Je t'accorde bien ça, il n'y a pas de pathos. Pour le reste, j'ai vu l'intention de l'auteur, je trouve qu'elle comprend très bien son héroïne, c'est flagrant, mais la mise en scène, le style, la voix, n'ont pas su me toucher. Et j'en suis déçue, j'espérais vraiment accrocher vu que l'histoire me parlait beaucoup. :/

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    1. Oui, tu es la première voix discordante dans ce concert de louanges... Et comme je l'ai déjà dit, j'attends avec impatience que ma compagne le finisse pour voir l'impression d'une lectrice hors genre (même si à cause ou grâce à moi, elle en lit quand même beaucoup) sur ce bouquin. Même sans avoir les référence, comment va-t-il la toucher ? Pour le moment, elle le trouve "bien"...

      A.C.

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  5. Je viens de le terminer et ai pu l'apprécier malgré mon manque flagrant de culture SF!
    Les références à des auteurs et des romans que je ne connais n'ont pas réussi à m'éloigner de l'émotion véhiculée par cette histoire poignante. Ce roman m'a beaucoup touchée.

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    1. Mais qui parle à ma place, là ? ;-)

      Très heureux que ce livre t'ai plu. C'est la preuve qu'il peut parler à toutes et à tous, culture SFFF ou pas. Et c'est peut-être une des raisons de son succès. La première réimpression a été annoncée par l'éditeur. C'est une très bonne nouvelle !

      A.C.

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