Le monde des Ã, d'Alfred Elton Van Vogt

Le matin même, Gilbert Gosseyn avait quitté Cress-Village, en Floride, pour se rendre dans la capitale et tenter sa chance auprès de la Machine des Jeux. A l’hôtel, il reconnaît un voisin et le salue. Ce simple geste fait basculer son univers quotidien en cauchemar. Ainsi, il apprend qu’il n’existe aucun Gilbert Gosseyn dans son petit village de Floride, et que sa femme Patricia, décédée un mois plus tôt, n’est pas morte et, qui plus est, n’a jamais été mariée ! Alors Gosseyn entreprend la plus fantastique quête qu’un homme puisse faire, celle de sa propre identité.

Le monde des à (ou non-A) a été traduit par Boris Vian. Autant dire que le style est de fort bonne facture. Présenté comme un livre de Science Fiction, plutôt proche d’un Planet Opera, Le monde des non-A est en réalité bien plus complexe. Outre le genre littéraire qui peut faire débat, la trame globale rend ce premier volet du cycle, qui se poursuit et s’achève avec Les joueurs du Ã, très peu accessible. Je dirais même qu’il s’agit là d’une œuvre sans partage : on l’aime, on s’y accroche contre vents et marées, ou on laisse de côté. Personnellement, je peux vous assurer qu’il m’a fallu une sacrée poigne pour en venir à bout.

Les premiers temps ont tout d’une introduction science fictive. Gosseyn arrive dans la ville de La Machine des Jeux, afin de participer à une sorte de Tournoi conférant aux vainqueurs le droit à un voyage sur une Venus habitable et habitée par la crème des terriens. Une seconde Terre utopique en quelque sorte où la confiance entre ses habitants est de mise et où la répression quasi inexistante. Très rapidement, les plans de Gosseyn sont mis à mal. Dénoncé par un supposé voisin, il est rapidement pris en chasse. Obligé d’errer dans la ville, le lecteur erre avec lui dans des considérations qu’on ne saisit pas toujours. La donne se complique un peu plus lorsque Gosseyn est abattu à la fin d’un chapitre avant le premier tiers du roman. Elle devient carrément complexe lorsque nous retrouvons ce même Gosseyn la page suivante. Sans toujours comprendre les tenants et aboutissants, nous suivons Gosseyn dans son questionnement. Lui même ne comprend ce qui lui arrive, et doute encore davantage de son identité. De la Terre à Venus, on se rend bien compte que quelque chose de plus grand se déroule sous nos yeux. Un conflit à l’échelle Galactique où G.G joue le rôle de grain de sable. Les intérêts de chaque personnage sont antagonistes.

L’histoire qui se déroule dans Le monde des à est plus qu’une intrigue à tiroir, ou alors il s’agit d’un buffet breton. En soi, même si nous devons faire preuve d’une gymnastique complexe pour suivre les trajectoires de chacun, ce roman n’usurpe pas sa réputation d’œuvre SF de référence. Cependant, lorsqu’on y rajoute des réflexions philosophiques ardues, on prend le risque de perdre le lecteur. Le roman prend alors une dimension plus qu’abstraite. L’œuvre se déroule sur un autre plan. Assurément, il ne faut pas chercher un banal roman pour lecteur confirmé. De solides connaissances en sémantique générale ne sont pas de trop, comme la postface de l’auteur l’admet. A sa décharge, on se dit aussi que le recours à la philosophie est quelque part tout à fait cohérent. La carte n’est pas le territoire ou, comme Magrite le formulait : Ceci n’est pas une pipe. Il ne faut pas confondre la représentation et l’objet « réel ». La première est nécessairement partielle et partiale. Cette idée est aussi le socle sur lequel repose le roman de Van Vogt. Un roman atypique dans le paysage SF actuel. Difficilement accessible, polymorphe, très largement abstrait ; mais aussi fascinant, bien écrit, et étonnamment accrocheur.

Note : III

Les Murmures.

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