Le Congrès (The Congress)

Robin Wright est une actrice dont la carrière est derrière elle, selon les dires d'un producteur d'Hollywood. Si elle veut la relancer, elle devra accepter une ultime proposition du studio Miramount, proposition qui fera d'elle une star éternellement jeune et belle. Après un refus catégorique, elle finit par accepter car l'un de ses enfants, Aaron, est en train de perdre l'ouïe et la vue et elle veut pouvoir s'en occuper. Elle signe donc un contrat où elle perd son droit à l'image et accepte de ne plus jamais jouer de sa vie. Elle va donc entrer dans une immense machine afin de se faire scanner son image...

Le Congrès (2013, 2h03), film américano-israelo-luxembourgo-polonais (ouf !) d'Ari Folman, avec Robin Wright, Harvey Keitel, Paul Giammatti...

Enfin un bon film de SF en 2013 ! 

Oui, j'ai bien conscience qu'en commençant ma chronique ainsi, je ne me facilite pas une tâche qui s'avérait déjà rude avant de l'avoir entamée. Mais essayons quand même. Pour son quatrième long-métrage, le réalisateur de Valse avec Bachir (2008) - le magnifique film documentaire d'animation sur l'intervention d'Israël dans le conflit Libanais et le massacre de Sabra et Chatila -, Ari Folman, s'est librement inspiré du roman de Stanislaw Lem, Le Congrès de Futurologie afin d'écrire son scénario. De ce que j'ai cru comprendre en glanant des infos sur le bouquin, c'est plutôt la deuxième partie du film qui est une adaptation du roman de l'auteur de science-fiction polonais.

Car ce film est clairement en deux parties. Dans la première, on suit une Robin Wright en chair et en os. Du moins, Robin Wright interprétant une vision cinématographique de son propre rôle d'ancienne grande star de cinéma américain (ayant commencé dans Santa Barbara, un soap-opera qui, malgré son haut degré de crétinerie, a bercé mon adolescence un peu terne, à cause justement de la présence de cette actrice lumineuse ; mais passons, ceci n'est pas le sujet de cette chronique. Quoique...). Bref, Robin Wright joue Robin Wright. Une actrice qui, selon les propos très cyniques du producteur interprété par Danny Huston (le fils de John !), s'est très vite retrouvée sur la touche (à cause de mauvais choix) après un début de carrière très prometteur (The Princess Bride, Forrest Gump). Cette idée de scanner les comédiens pour les garder jeunes et beaux ad vitam eternam peut paraître totalement saugrenue. Pourtant, je me souviens d'une interview de Robert Zemeckis (la trilogie Retour vers le futur, Forrest Gump, déjà cité) où le réalisateur étasunien prévoyait pour un avenir plus ou moins proche l'inutilité des acteurs. Il a lui-même développé un système, la performance capture qui, même s'il ne pouvait pas (encore) se passer totalement des comédiens, pouvait tout de même réduire leur présence sur un plateau. Cela nous a donné des longs-métrages tels que Pôle express ou La légende de Beowulf (scénario de Neil Gaiman), des films passables malgré la froideur des images. Bon, depuis, Zemeckis en est revenu, mais l'idée de capturer l'image des acteurs (et ainsi pouvoir gérer au mieux leur ego) est là, en germe. La scène où Robin Wright entre dans la machine pour se faire scanner est absolument bouleversante, peut-être la plus belle du film. En partie grâce à l'actrice qui doit montrer toute une palette d'émotions, et qui le fait très bien, mais aussi (et peut-être surtout) du fait de l'interprétation magistrale d'un Harvey Keitel tel qu'on ne l'avait pas vu depuis longtemps.


La deuxième partie du film se passe vingt ans après la première. On découvre une Robin Wright vieillissante (mais toujours aussi belle) qui, à l'invitation du consortium Miramount Nagazaki, se rend à un Congrès de Futurologie. Mais l'unique gardien du lieu lui apprend qu'il s'agit d'une zone "entièrement réservée à l'animation". Elle absorbe alors une drogue et se retrouve donc dans l'autre monde, après une transformation très psychédélique. Cet autre monde, où chaque personne est un personnage de dessin animé, ou bien encore un personnage historique, tel Jésus-Christ ou Elvis Presley (il peut très bien y avoir plusieurs fois le même avatar), a comme point central le gigantesque hôtel de la Miramount (contraction très bien vue de Miramax et Paramount) où se déroule le fameux Congrès de Futurologie. Hommage avoué aux frères Fleischer (créateurs notamment de Betty Boop), cette deuxième partie est encore une réflexion sur le cinéma et aussi sur la chimie comme vecteur de la paix sociale (ce que semble raconter le roman de Lem). Très rapidement, le personnage cartoonesque de Robin Wright se retrouve comme prisonnière de ce monde alternatif. Au prix du sacrifice de l'un de ses amis, elle parviendra à s'en sortir et finira par découvrir le monde réel, et le spectateur avec elle. Passées les premières images pop et colorées, acidulées, le spectateur ressent très vite une sorte d’oppression dans ce monde d'animation. L'ex-actrice n'a aucune prise sur ce qui s'y passe et le retour à la "normale" y est vécu comme une libération, une nouvelle naissance. Cependant, le monde réel est loin d'être un lieu idéal où il fait bon vivre.


Bref, il y aurait encore tant de choses à dire sur ce film passionnant, inventif (le budget de seulement 8 millions de $ a obligé, comme dans Valse avec Bachir, le réalisateur israélien a recourir à l'animation), émouvant sans être larmoyant, ennuyeux parfois (même si cet ennui n'est pas vain), fascinant mais qui laisse toujours le téléspectateur dans l'interrogation de ce qu'il est en train de voir. Oh, bien sûr, ce long-métrage est loin d'être parfait. Cependant, il offre ce qu'on attendait depuis très longtemps : une S.F. exigeante qui joue véritablement son rôle : interroger le futur pour nous parler de notre présent.

Un vrai bon film de science-fiction, enfin !

Ah oui, une toute dernière chose : tout cela m'a grandement donné envie de trouver, et de lire, le roman de Stanislaw Lem, le Congrès de Futurologie !

note : IV

A.C. de Haenne

A lire aussi : La chronique du Pendu

A écouter : la très intéressante interview du réalisateur Ari Folman dans l'excellente émission "Pendant les travaux, le cinéma reste ouvert" (en deuxième partie d'émission)

A découvrir : le (très beau) site officiel du film.



[cette chronique est dédiée à Véro, sans qui je n'aurais jamais pu vivre cette expérience cinématographique dans une salle obscure]

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