Moxyland (Moxyland), par Lauren Beukes
Dans cette Afrique du Sud d'un futur très proche, le monde virtuel a supplanté le réel. C'est Moxyland, un monde ultra-technologique où votre téléphone portable fait office de passeport, regroupant toutes les données vitales de chaque individu. L'horizon obligatoire pour chacun : l'entreprise et son esprit "corporate". Quatre jeunes gens tentent pourtant de lutter contre le système, chacun à sa manière. Kendra, une orpheline dont les parents sont morts du SIDA et qui étudie la photographie. Lerato, programmatrice géniale qui n'est pas dupe de Moxyland. Toby, DJ et blogueur toujours en dilettante. Tendeka, jeune activiste homosexuel qui veut que les choses changent, par tous les moyens.
illustration de Joey Hi-Fi |
Ceci est le premier roman de Lauren Beukes. Ceci est le premier roman sud-africain que je lis. Ceci est le premier roman de science-fiction africaine que je lis. Voilà beaucoup de premières fois pour un seul roman et ça aurait pu être une première fois de trop... Eh bien pas du tout parce que ce court roman d'à peine 300 pages (de lecture effective) est un petit bijou. Certes pas exempt de défauts, mais tout à fait recommandable.
Alternant quatre points de vue rédigés à la première personne, Lauren Beukes nous montre une Afrique du Sud du futur tout à fait envisageable, quoique pas assez éloignée de nous pour être vraiment crédible. En effet, l'action est censée se passer en 2018 (soit 10 ans seulement après l'écriture du roman) et ça me semble un poil trop tôt vu ce qui y est décrit, mais là ne réside pas le plus important. Car ce que parvient à faire l'auteure sud-africaine, c'est d'extrapoler ce qui se passe déjà avec la folie des téléphones portables, qui sont comme une extension de nous-même (du moins pour ceux qui en possèdent, c'est-à-dire une écrasante majorité), et d'imaginer une société de contrôle et d'auto-censure. Si chaque individu accepte d'être ainsi en permanence contrôlé (ou potentiellement contrôlable par les autorités), c'est bien qu'il y trouve son intérêt, celui de vivre dans un confort sans se poser de réelles questions sur ce qui se passe vraiment autour de lui. Parce que l'Apartheid racial s'est vite reconverti en un Apartheid numérique tout aussi dévastateur. Sans être technophobe, je pense que nous devons vraiment nous méfier de toute cette technologie intrusive qui, loin de toujours être à notre service, est parfois là pour nous asservir. Je crois que cette vision que nous offre Lauren Beukes dans son bouquin est comme une aiguillon, une manière de nous avertir de certaines dérives tout à fait envisageables.
En lisant ce très bon premier roman, deux autres livres me sont venus à l'esprit : Dans la dèche au royaume enchanté, de Cory Doctorow et 1984, de George Orwell. Le premier pour l'esprit corporate du monde décrit, où il faut avoir bonne réputation pour avancer dans la société. Le deuxième, c'est bien évidemment parce qu'il s'agit d'une référence en matière de roman sur la société de contrôle. Sans dévoiler l'intrigue de Moxyland (pour le coup, une intrigue assez mince, et c'est peut-être là le point le plus faible de ce roman qui reste quand même très bon), on peut dire qu'il arrive presque la même chose à l'un des protagonistes qu'à Winston Smith. Seule la fin pourrait paraître moins tragique, car on a là un roman beaucoup moins implacable que 1984, peut-être parce que Lauren Beukes est une auteure moins pessimiste qu'un George Orwell en fin de vie.
A signaler pour l'anecdote que le graphiste Joey Hi-Fi est cité vers la fin du roman, or c'est lui qui signe la magnifique illustration de couverture, reprise ici dans la version française.
En conclusion, on peut dire qu'on a, avec ce Moxyland, un très bon premier roman, certes pas toujours facile d'accès, mais tout à fait recommandable.
Moxyland (Moxyland) - Presses de la Cité - 320 pages - 20€ - D.L. : mars 2014
note : III
A.C.de Haenne
Bon, ton article le fait remonter dans ma liste.
RépondreSupprimerBen tu me fais plaisir, là. D'autant que tu ne devrais pas mettre plus d'un jour ou deux pour le lire...
SupprimerA.C.
Je ne crois pas que la fin soit moins pessimiste que 1984.
RépondreSupprimerUbik
Non, mais moins implacable. Mais comme c'est une fin assez ouverte, on ne sait pas exactement ce qui se passe pour les protagonistes. Pour Winston Smith et sa brune, c'était beaucoup plus clair. Après, la société décrite ici est à peine moins oppressante que dans 1984, c'est clair.
SupprimerEt bienvenue par ici, Ubik !
A.C.
Est-ce qu'il vaut la référence à Orange Mécanique de la couverture ? Parce qu'à en lire ta critique je ne vois pas tellement les liens, mis à part la couleur Orange de la couverture :)
RépondreSupprimerPour te dire la vérité, je n'ai pas lu le roman d'Anthony Burgess. Je ne sais pas si c'est pertinent de faire la comparaison avec le film de Kubrick, du coup. En tout cas, non, je ne vois pas trop. Bon, l'accroche parle de livre-culte comme "Orange Mécanique". Je pense que c'est marketting.
SupprimerA.C.