Légationville (Embassytown), par China Miéville
Sur la
planète Ariéka, l'air s'avère toujours irrespirable pour les
Humains. Ils y ont pourtant créé un comptoir commercial,
Légationville, une sorte d'enclave alimentée en oxygène. Les
Ariékans – que par respect on nomme les Hôtes – et les Humains
semblent cohabiter en paix. Cette race extra-terrestre a la
particularité de posséder deux bouches, qu'ils emploient en même
temps pour parler. De plus, le mensonge leur est inconnu et les
métaphores, incompréhensibles. Afin d'entrer en communication avec
eux, les Humains ont développé des paires de clones vivant en
symbiose, les Légats. C'est alors qu'un Légat totalement atypique
est envoyé du Brémen, avec pour mission d'imposer les nouveaux
plans de la capitale. Les conséquences de cet acte sont
incommensurables...
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Comme
beaucoup, j'ai découvert China Miéville avec Perdido Street
Station. C'était il y a huit
ans à présent et je pense que je ne m'en suis toujours pas remis,
tant ma lecture de ce roman hors
normes, m'a bouleversé.
Pour tout dire, je me souviens même du lieu où je l'ai lu, que
dis-je, où je l'ai littéralement dévoré, ne parvenant pas à me
détacher de cet univers fascinant. Par la suite, je
n'ai réalisé qu'une unique nouvelle
incursion dans l’œuvre de
l'auteur anglais, grâce au numéro 53 de la revue Bifrost. Une
nouvelle très intéressante mais qui m'avait un peu déçu parce
qu'elle ne me replongeait pas dans l'univers de Nouvelle-Crobuzon (la
ville tentaculaire créée par Miéville), ce qui est normal puisque
China Miéville est un écrivain qui se renouvelle à chacun de ses
romans, changeant de genre à chaque fois. C'est peut-être pour
cette raison (je le découvre en écrivant ces lignes) que je ne me
suis jamais remis à lire du China Miéville – un homme
remarquable, que j'ai eu la chance de rencontrer une fois, en 2010
aux Utopiales de Nantes, et avec qui j'ai eu
l'immense
privilège de discuter de littérature, un peu, et
de politique, beaucoup.
Et puis, grâce à Babélio, lorsque
l'occasion m'a
été offerte de me replonger
dans l'univers baroque de l'écrivain d'outre-manche, j'ai
foncé !
C'est
peu de dire que ce Légationville n'est
pas d'un abord aisé. Il m'a d'ailleurs fallu plusieurs dizaines de
pages avant de bien saisir
les tenants et les aboutissants de cet univers particulier, qui m'a
semblé très original. Avec China Miéville, les idées fusent, les
néologismes abondent et les mots-valises propres à un
univers de science-fiction
s'avèrent
nombreux. Il faut d'ailleurs tirer un sacré coup de chapeau à la
traductrice attitrée de
Miéville, Nathalie Mège (qui avait reçu en son temps un G.P.I. de
la meilleure traduction pour Perdido Street Station,
amplement mérité à mon humble avis) ; elle réalise ici un
boulot remarquable et il me semble important de le signaler.
Si
d'aucuns
peuvent reprocher à China Miéville cette surabondance de termes
nouveaux et de concepts originaux, je trouve pour ma part qu'elle
sert au contraire son récit, en particulier l'idée principale qui
fait office de colonne vertébrale du roman, la linguistique. Ce
n'est pas pour rien que l'exergue de ce livre est une citation de
Walter Benjamin et qu'à la fin des remerciements on trouve des noms
tels que Paul Ricœur ou I.A. Richards. Par
définition, la communication entre des Humains et une race
extra-terrestre forcément différente (sinon, l'intérêt serait
limité)
est difficile, voire impossible, surtout lorsque les
E.T. en question possèdent
deux organes de la parole qu'ils
utilisent
en simultané. Les échanges
verbaux sont d'autant plus compliqués quand les
Hôtes créés par Miéville
ne comprennent qu'un seul
niveau de langage, leur
interdisant des notions telles
que le mensonge ou la
métaphore. À moins bien sûr de créer des intermédiaires, ces
Légats qui donnent leur nom à la ville-enclave sur Ariéka.
Seulement
voilà, China Miéville ne s'arrête pas là. Son
récit fourmille d'idées qui tournent autour du langage et de la
communication (possible/impossible ; entre Humains et E.T. donc,
mais aussi entre les Humains eux-mêmes).
Et la plus folle de
toutes peut-être, c'est de
rendre un grand nombre de ses
extra-terrestres totalement
drogués. Quelle est la source de leur addiction ? Des
mensonges. Aussi incongrue que cela puisse paraître, cette idée
fonctionne parfaitement, d'autant qu'elle est exploitée jusqu'au
bout. Jusqu'à l'os, pourrait-on dire.
Même
si parfois la surabondance de
concepts, de
mots nouveaux et de péripéties toutes plus échevelées les unes
que les autres peut nuire à
la clarté du
récit de China Miéville,
il n'empêche que
ce Légationville est
une grande réussite. Riche et généreux, c'est un roman qui se
mérite mais qui, au final, ne déçoit pas. Je suis d'autant plus
ravi d'avoir été choisi à l'occasion de cette opération Masse
Critique (merci à Babélio et aux éditions Fleuve Éditions)
qu'il m'a permis de retrouver
l'un des plus grands écrivains anglais de ces quinze dernières
années. J'y reviendrai,
forcément.
Légationville (Embassytown) - Fleuve Éditions - trad. de Nathalie Mège - 500 pages - 21,90€ - D.L. : octobre 2015
Note :
III
A.C.
de Haenne
J'ai adoré The City & The City.
RépondreSupprimerJ'ai un peu les miquettes du trop plein de page pour la trilogie Perdido Street Station.
Celui-là me fait carrément de l'œil. J'ai pas l'impression qu'on d'en avoir beaucoup entendu parler par contre.
The City & The City est le prochain Miéville que je lirai, c'est sûr !
RépondreSupprimerIl ne faut pas avoir peur de se lancer dans Perdido Street Station. En plus l'édition française permet de faire une pause entre les deux tomes.
Effectivement, je ne crois pas qu'on en a parlé beaucoup. A part ici :
http://emission.salle101.org/?p=1425
A.C.
Bon ben moi je n'ai pas accroché plus que ça...
RépondreSupprimerPas assez descriptif (tu arrives à te représenter l'environnement toi ? Les ariékans ? Moi non.), trop long, une personnage principale trop lisse, qui ne provoque pas d'empathie, et une fin trop facile, trop rapide.
Il y a plein d'idées oui, ça c'est sûr, et de bonnes idées en plus, mais le reste ne m'a pas pleinement convaincu.
Je crois que j'ai un problème avec China Miéville (pas ultra convaincu non plus avec "The city & the city" malgré les bonnes idées...). :/
Oui, c'est vrai, pas vraiment très descriptif. Mais ça ne m'a pas trop gêné. Oui, j'ai une image (sûrement fausse) en tête des Ariékans. J'ai vécu ma lecture de ce "Légationville" comme un bouillonement d'idée très jubilatoire. Certes c'était parfois un peu trop et je comprends tout à fait que cela ne parle pas à tout le monde...
RépondreSupprimerTu n'as pas trop apprécié "The City & The City", mais comment as-tu trouvé "Perdido Street Station" ?
A.C.
Je n'ai pas lu "Perdido Street Station", il est sur ma PAL. Tout comme "Les scarifiés" et "Le concile de fer".
SupprimerJe compte bien persévérer avec l'auteur. ;)
Oui, je ne peux que te conseiller PSS ! Un jour, si je trouve le temps, je pense que je le relirai...
SupprimerA.C.
J'avais adoré The City & The City, légèrement moins enthousiaste sur celui-ci mais cela reste au dessus du lot. Effectivement c'est un roman qui se mérite, les 50 premières pages sont un peu dur à avaler, après ca coule mieux.
RépondreSupprimerJe suis à la fois tenté par les autres oeuvres de l'auteur tout en ayant un peu peur aussi...
Si tu ne dois en lire qu'un seul : Perdido Street Station ! Sans hésitation.
SupprimerA.C.
Great blog I enjoyeed reading
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