Premier contact (Utopiales 2016 - Avant-première)

Louise Blanks est une linguiste réputée. A l'arrivée des vaisseaux extra-terrestres sur Terre, elle est en train de donner un cours à ses étudiants, peu nombreux dans l'amphi et tous perturbés par les événements pour le moins extraordinaires. Mais quand elle reçoit la visite des militaires, elle comprend que son avenir est lié aux visiteurs. En effet, le colonel Weber la fait venir dans le Montana pour qu'elle traduise le langage des aliens. Elle y rencontre Ian Donnelly, le physicien responsable de la mission, qui va l'aider dans sa tâche...

Premier contact (2016, 1h56), film américain de Denis Villeneuve, avec Amy Adams, Forest Whitaker, Jeremy Renner...

UTOPIALES 2016 - HORS COMPETITION

© Denis Bajram


En finissant la nouvelle L'Histoire de ta vie (traduite par Pierre-Paul Durastanti et parue dans le recueil La Tour de Babylone), j'avoue avoir eu très peur. Oui, peur que le scénariste du présent film (en l'occurence Eric Heisserern) prenne les éléments de base (l'arrivée des ET, les personnages principaux, etc.) de l'oeuvre de l'auteur américain Ted Chiang pour en expurger tout ce qui en faisait le sel. Parce que l'une des grandes idées de cette novella (l'autre, je ne peux vraiment pas en parler sans déflorer le ressort de l'intrigue), c'est la linguistique. Dans son texte, Ted Chiang n'hésite pas à employer des termes abscons et des concepts assez complexes, le tout sans que ce soit rédhibitoire à la lecture (le propre de la bonne SF, en somme). Ma plus grande crainte donc résidait dans le fait qu'au passage de l'écrit à l'écran, tout cet aspect là soit éludé, ne devienne qu'un élément du décor. Parce que, il faut bien l'avouer, la linguistique n'est quand même pas une notion très cinématographique, surtout à l'heure des grandes productions hollywoodiennes basées sur la pyrotechnie et le spectaculaire.  Mais c'était faire peu de cas du talent de Denis Villeneuve...


Personnellement, j'ai découvert le réalisateur québécois avec son tout dernier film francophone, le formidable et remuant Incendies (2010). Depuis, je suis son parcours : suivent deux films indépendants mais en anglais et avec des acteurs hollywoodiens, tous deux sortis en 2013, Prisoners et Enemy et un premier film véritablement hollywoodien, Sicario (2015). Il a su visiter différents genres avec, à chaque fois, une maîtrise remarquable de la caméra, ainsi que des scénarios qui lui sont proposés. Incendies était une incroyable chronique familiale tirée d'une pièce de théâtre écrite par le dramaturge canado-libanais Wajdi Mouawad ; Villeneuve signait là son deuxième et tout dernier scénario de sa carrière de cinéaste. Prisoners (Aaron Guzikowski au scénario) était un thriller psychologique tandis que Enemy (scénario de Javier Gullón) relevait plus du fantastique. Et avec Sicario (sc. : Taylor Sheridan), Villeneuve nous embarquait dans une histoire policière où le trafic de drogue et la corruption se mêlaient allègrement. Si ce dernier est très certainement le plus faible élément de sa filmographie, il n'en demeure pas moins un très bon film, tout à fait recommandable. Avec une telle carte de visite, c'est peu de dire qu'on est en droit d'attendre le meilleur de la part du réalisateur québécois. Et quand j'ai appris qu'il allait s'agir d'un film de science-fiction, dont le scénario allait être tiré d'une nouvelle qui plus est, non seulement j'ai sauté de joie mais en plus je me suis précipité vers ma bibliothèque pour vérifier que j'y avais bien le bouquin de Ted Chiang.



Après cette (trop ?) longue introduction, il est grand temps pour moi de vous parler (enfin !) du film. Eh bien, pour mettre un terme à cet interminable suspense, je ne peux dire qu'une seule chose : il est formidable. Non seulement l'adaptation de la novella de Ted Chiang est excellente (peut-être la meilleure qu'il m'ait été donné de voir depuis une éternité), parce qu'elle respecte vraiment ce qui en fait sa force, la linguistique, mais aussi parce qu'elle conserve la trame particulière (c'est l'autre très bonne idée du texte, dont je ne peux toujours rien dire) de L'Histoire de ta vie. Et, bien sûr, l'autre grande idée de ce film, c'est l'altérité (une constante dans la filmo de Villeneuve, avec son paroxisme atteint dans Enemy). Mais est-ce vraiment nécessaire d'y revenir puisque cela relève presque du cliché de la SF quand il s'agit d'extra-terrestres.

Et pour rentrer dans les détails de ce qui fait la force de ce très bon film, il me faut commencer par les acteurs. Pour le dire tout net, le choix d'Amy Adams en Louise Brooks est parfait. Si je l'avais trouvée fade dans son interprétation de Loïs, au contraire ici elle laissait libre cours à son talent d'actrice qui, je pense, est immense. Elle sait à merveille incarner cette femme forte et fragile, cette mère et cette intellectuelle à la recherche de la vérité sur le langage si différents des extra-terrestres. Les deux autres rôles principaux n'en sont pas moins excellents. Jeremy Renner, à mille lieues des personnages qu'il incarne habituellement, et Forest Whitaker, parfait en militaire que rien n'ébranle.


Comme je l'ai dit plus haut, ma plus grande crainte était que toute la partie linguistique de la novella de Ted Chiang se retrouve cantonnée à l'arrière-plan. Or, il n'en est rien. L'exploit du scénariste a été de reprendre toutes (ou peu s'en faut) les notions mises en place dans le bouquin pour montrer les recherches de Louise Blanks. Et ça fonctionne ! Aussi incroyable que cela puisse paraître, on suit les deux protagonistes à la recherche de la vérité sur les motivations de ces visiteurs encombrants. En effet, c'est même le sous-titre de ce film : "Pourquoi sont-ils là ?". Alors certes il y a des éléments ajoutés par rapport au texte de départ, comme ce général chinois prêt à en découdre avec ces aliens qui ont envahi le territoire national. Mais cela ne gâche en rien le propos. Bien au contraire, ça l'enrichit presque (oui, j'avais trouvé qu'il manquait un peu d'enjeux géopolitiques dans la novella).


Quant à la réalisation de Denis Villeneuve, elle est tout simplement parfaite. Si, comme moi, vous avez suivi sa carrière (il ne m'en manque que deux), vous savez de quelle maëstria il est capable dans sa mise en scène. Chaque plan est recherché, référencé même (l'entrée impressionnante dans le vaisseau spatiale fait furieusement penser à une sorte de monolithe inversé) ; aucun ne semble inutile. Ce premier contact (sic !) avec la science-fiction ne peut qu'augurer du meilleur quand on connait le prochain projet du cinéaste. En effet, l'annonce en grandes pompes du début du tournage de Blade Runner 2049 (avec Harrisson Ford et Ryan Gossling) est tout à fait allêchant. Même s'il fait un peu peur à pas mal de fans du film de Ridley Scott de 1982 (dont je fais partie, mais ça vous le savez déjà si vous êtes un habitué de ce blog).

Que dire de plus sinon que je remercie chaleureusement le festival des Utopiales de nous avoir proposé ce film en avant-première (avec les mesures de sécurité anti-piratage imposées par le studio Sony). C'est peu de dire qu'il était attendu. Et qu'il ne m'a pas déçu. Bien au contraire.

note : IV

A.C. de Haenne

P.S. : la sortie de ce long-métrage est prévue pour le 7 décembre 2016








Commentaires

  1. Je n'ai vu que Sicario mais je pense que j'irai voir celui-là.

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    1. Et Sicario était le plus faible de tous ! Oh oui, je pense vraiment qu'il s'agit d'un film à voir. Ou à revoir, ce que je compte faire.

      A.C.

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    2. Il faudra que je voie les autres de Villeneuve.

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    3. De tous ceux que j'ai vu, aucun n'est à jeter...

      A.C.

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  2. Vendu!!
    J'irai le voir, tu as trop titiller mon imagination. Le 7 décembre, c'est noté.
    Merci !

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  3. Pfff, j'en peux plus d'attendre. Je te déteste un peu sur ce coup. ;)
    PS : Rien à voir, mais tu as retiré ton compte perso de FB ?

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    1. C'était mon petit cadeau bonus pour m'être isolé dans les salles obscures pendant trois jours aux Utopiales.

      Quant à FB, on va dire que c'est un break post-Utos plutôt salutaire pour éviter le break down...

      Mais comme a dit un jour un certain T-800 : "I'll be back !"

      A.C.

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  4. Je l’ai vu ce week-end : excellent ! D’une certaine manière, par son traitement très sobre et mesuré, je pourrais même dire que je l’ai préféré au texte de Chiang, que pourtant j’avais beaucoup aimé aussi. De la bonne SF qui fait du bien. Maintenant, place à Blade Runner 2049. ;0)

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    1. Oui, Villeneuve (ou son scénariste) a su ajouter ce qui manquait au texte de Chiang.

      On va devoir attendre encore un peu pour BR2049...

      A.C.

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  5. Ah je peux enfin lire ta chronique presque un mois et demi après ! Beaucoup aimé, je te rejoins sur tous les points, l'adaptation est excellente (alors qu'elle me semblait impossible) et le film superbe.

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    1. Oui, enfin de la SF intelligente accessible à tous !

      A.C.

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