Mes vrais enfants, par Jo Walton
Dans la maison de retraite où elle finit sa vie, Patricia Cowan a de gros problèmes de mémoire. Pourtant, malgré la confusion qui brouille son esprit, des pans entiers de souvenirs ressurgissent. Elle se souvient très bien de ses deux vies, l'une où elle a épousé Mark, une autre où elle a rencontré Béatrice. Deux existences radicalement différentes...
Auréolé d'un réel petit succès (pour s'en convaincre, il suffit de consulter le dernier récapitulatif du Challenge Lunes d'encre organisé sur ce blog), tout au moins dans la blogosphère, le cinquième roman de Jo Walton paru en France est donc Mes vrais enfants. Publié, comme il se doit, dans la collection Lunes d'encre.
illustration d'Aurélien Police |
Si ce roman-ci possède quelques points communs avec les précédents livres de l'auteure galloise (tout comme dans Morwenna, le récit nous est révélé par une narratrice, et tout comme dans Le Cercle de Farthing, il est question ici d'uchronie), la forme est tout de même radicalement différente. En effet, si l'uchronie par rapport à l'Histoire telle que nous la connaissons est bien présente (nous y reviendrons), il est aussi question d'uchronie intime. D'ailleurs, pour bien signifier son propos, l'écrivain nous propose à la lecture les deux versions de la vie de son héroïne, en alternance. C'est à mon humble avis la plus grande réussite de ce Mes vrais enfants. Mais aussi ce qui fait la force de Jo Walton, savoir se renouveler dans la forme et dans le fond d'un roman (ou groupe de romans puisque Le Cercle de Farthing fait partie d'une trilogie connue sous le nom d'"Un subtil changement" ; d'ailleurs, même à l'intérieur de ce triptyque, elle a su varier les plaisirs) à l'autre.
Ce qui m'a beaucoup plu aussi dans ce roman, c'est la variété des destins "croisés" des deux Patricia (Pat ou Trish suivant les versions). Si la vie semble plus facile pour l'une et insurmontable pour l'autre, du moins au départ de leur existence respective, tout n'est pas tout noir ou tout blanc. C'est cette subtilité dans l'invention des destins de son héroïne multiple que j'ai trouvé remarquable.
Malheureusement, la subtilité n'est pas présente partout. En effet, si les personnages féminins sont forts face aux mondes cruels dans lesquelles elles tentent de (sur)vivre (l'un est peut-être plus libéral que l'autre), les protagonistes masculins sont faibles et désagréables, voire violents. L'autre point négatif, c'est au niveau des uchronies historiques proposées au lecteur dans les deux versions des vies de Patricia Cowan. Là encore les gros sabots sont de rigueur. Si le point de divergence du Cercle de Farthing m'avait semblé très bien trouvé et, surtout, très intelligemment exploité par la suite (j'ai au moins lu les deux premiers romans pour m'en convaincre), ici on a droit à des changements qui semblent posés au fur et à mesure des besoins de l'auteure pour faire avancer son intrigue. Comme un décor de carton pâte. Enfin, l'autre point négatif où la subtilité est absente, c'est dans certains dialogues entre Pat et Bee, où les faits sont exposés de manière beaucoup trop lourde.
Je sais que terminer une chronique par des points négatifs, surtout quand ils sont nombreux, peut desservir un livre. Pourtant, il était important pour moi de ne pas passer à côté de ces petits bémols. Car malgré ceux-ci, ce roman demeure très bon. Et même si je sais qu'il faut grandement se méfier des quatrièmes de couvertures, le fait qu'il y est mentionné que Mes vrais enfants est considéré comme le chef d'oeuvre de Jo Walton m'étonne beaucoup. La dernière page finie, je me suis précipité sur Hamlet au Paradis [chronique à venir, dans le cadre du Challenge Lunes d'encre bien sûr !], que j'ai dévoré et trouvé nettement meilleur.
A signaler que ce roman a reçu le Prix James Tiptree Jr. en 2014.
Mes vrais enfants (My Real Children) - Denoël - collection Lunes d'encre - traduction de Florence Dolisi - 350 pages - 22,50€ - D.L. : janvier 2017
note : II
A.C. de Haenne
chronique rédigée avec des souvenirs uniques dans le cadre du Challenge Lunes d'encre :
Du coup, ça me remotive pour lire le Cercle - et l’acheter avant. La note "II" est un peu étrange. II/XXIV ?
RépondreSupprimerToutes mes notes sont sur IV. Et j'avoue que ma première idée était de lui donner un III, et je me suis ravisé.
SupprimerOui, je ne peux que t'encourager à acheter/lire le Cercle et sa suite, Hamlet au Paradis, encore meilleur à mon humble avis.
A.C.
Ah, mais je suis entièrement d'accord avec toi. Sur toute la linge points positifs et points négatifs. Pas le chef d'oeuvre annoncé, mais il a de quoi plaire.
RépondreSupprimerC'est tout à fait ça ! J'espère quand même ne pas avoir trop chargé la mule...
SupprimerA.C.
C'est bien de souligner des bémols, ça permet de relativiser.
RépondreSupprimerPersonnellement je me suis laissé transporter sans faire cas des petits défauts.
Et c'est tant mieux !
SupprimerA.C.
Pour ma part je l'ai préféré à la trilogie du Subtil changement, mais j'ai trouvé beaucoup de choses dans ce roman qui m'ont parlé.
RépondreSupprimerA force de lire des avis très divers sur ses romans je pense que l'opinion qu'on en a dépend souvent de la capacité qu'on a à se projeter dans ses personnages.
Comme quoi, on est vraiment toutes et tous des lecteurs différents. Oui, la projection dans un personnage est primordiale pour bien entrer dans un roman.
SupprimerA.C.
Je ne suis pas très d'accord pour les personnages masculins : Daniel et le photographe sont dépeints sous des jours très positifs, de même que les enfants hommes de Patricia. Les femmes aussi ont droit à leur lot de tacles, entre l'amie de Marc assez hautaine, Cathy pas toujours très délicate, etc.
RépondreSupprimerOui, bien sûr, c'est peut-être un peu caricatural, mais c'est ce que j'ai ressenti à la lecture. Forcément, ce n'est pas aussi tranché si on entre dans les détails.
SupprimerA.C.